Invention d’un paysage

Après environ trente ans, il est temps pour moi de parcourir un instant cette longue aventure qu’aura été l’A16-Transjurane.

Bien sûr, il y aura eu le rapport au paysage, ce désir profond de ne pas le bouleverser, malgré l’ampleur inévitable de la construction. Il aura été un souci permanent, une obligeance intellectuelle de tous les instants.

Architecture et paysage

Au lendemain du concours, un paragraphe de B. Luscher, architecte cantonal, a été publié dans le journal d’architecture Faces (No11, printemps 1989), une interview prémonitoire : « On a surtout trouvé quelqu’un qui saurait approcher ce que l’on ne connaît pas aujourd’hui : c’est une fuite vers l’inconnu, avec le confort de se dire que l’architecture saura défendre son point de vue en face des ingénieurs. Sa force d’architecte lui permettra de résister, ou même d’attaquer ; de remettre en cause… Car il y aura des débats, qui seront souvent difficiles. ».

Montage photo illustrant démarche entreprise pour l'A16

Démarche

S’il existe une volonté précise de dialoguer avec le paysage, il ne s’agit pas de s’y fondre, mais de s’en démarquer, tout en s’y intégrant.

Dès le début, cette réflexion servira de fil conducteur à l’éla-boration de l’ensemble des ouvrages d’art de l’A16. Pour ce faire, il s’agira de s’approprier la notion de « paysage », de réfléchir à la Transjurane comme une entité et non comme une addition d’événements construits, d’introduire la notion de vitesse qui la caractérise et de rechercher un vocabulaire spécifique, prouvant qu’elle n’est pas un « non-lieu » et que la récurrence des gestes aboutirait à une perception identitaire propre au territoire que l’on a parcouru.

Recherche d’un vocabulaire

À l’intention initiale de créer un unique dessin par exemple, pour l’ensemble des centrales de ventilation et portails, s’est substituée une recherche de « formes » plus adaptées à chaque topographie différente, à chaque pente et dévers du tracé, à chaque angle d’attaque de la montagne, mais toutes reconnaissables comme faisant partie d’une seule entité. Il est du reste intéressant de reconnaître que ce vocabulaire a évolué, pour se constituer en trois grandes phases, correspondant à environ trois décennies de travail.

Invention d’un paysage

La construction d’un paysage, ainsi que de son image, non seulement sont indissociables, mais elles sont de plus toutes deux intimement reliées à l’homme.

L’A16 s’inscrit donc dans un paysage totalement façonné par l’homme. L’autoroute est conçue consciemment, comme un apport au paysage, et non comme une nécessité, ou pire encore, comme une fatalité subie. Mais elle revendique au contraire une valeur paysagère ajoutée. Il ne s’agit donc pas de se fondre dans le paysage, mais de s’en démarquer, tout en s’y intégrant. La topographie génère la disposition routière, offrant à l’automobiliste des points de vue inattendus ; elle offre une nouvelle perception du territoire à des échelles diverses, que l’on soit automobiliste ou promeneur. Ainsi, les portails et les centrales de ventilation seront conçus pour être perçus par les automobilistes à une certaine vitesse. Parfois, ces éléments sont invisibles hors de la route, ou au contraire ponctuent le paysage aussi pour le promeneur.

Portail des Gripons sur l'A16, intégration au paysage

Mise en garde

L’autoroute a un double rôle, d’un côté de permettre un déplacement rapide au travers de son territoire le long de son axe de développement, et de l’autre de créer des opportunités d’aménagements latéraux (constructions industrielles, commerciales, etc.), au risque de la disqualifier.

Dans un premier temps, une réflexion au niveau de l’aménagement du territoire cantonal serait nécessaire pour en préserver l’effort d’intégration mis en place. La végétation peut aussi être un instrument de réflexion précieux. Par exemple, il serait judicieux d’implanter des parkings arborisés aux abords immédiats de l’autoroute, pour créer une zone de transition. Boécourt, photomontage entre celle-ci et les usines, diminuant ainsi leur impact, et laissant à l’A16 sa fluidité paysagère, si difficilement acquise. Il s’agit d’éviter que les abords immédiats de l’autoroute ne deviennent un vaste dépôt industriel et commercial comme sur le photomontage ci-contre.